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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Chaudon. Renée Jastière. Une lavandière raconte...

Ici on lave le linge et on salit le monde.
(écrit sur un mur de lavoir)

Renoir.

Quand je pense "lavandière"...

Me viennent d'abord les odeurs...

La mousse du savon mouillé sur le drap rêche.

Ce drap que l'on sortait pour les fêtes de Pâques à La Louise.

Et qui devait être celui pris tout en-dessous de la pile. 

Le plus ancien lavé.

Puis, viennent les couleurs...

Celles des peintres, Renoir, Goya, Boucher, Pissaro, mais surtout, surtout Paul Gauguin...

Et ses lavandières arlésiennes.

Et enfin les sons...

J'entends leurs rires, leurs joyeux caquètements et leurs chants.

J'entends le bruit des battoirs, le clapotis de l'eau, le chuintement de la brosse....

Le choc du linge mouillé contre les margelles de pierres.

Les lavandières, si bien décrites par Zola avec sa Gervaise dans L'assommoir :

"Le lavoir où elle allait, était situé vers le milieu de la rue, à l'endroit où le pavé commençait à monter. Au-dessus d'un bâtiment plat, trois énormes réservoirs d'eau, des cylindres de zinc fortement boulonnés, mettaient leurs rondeurs grises ; tandis que derrière, s'élevait le séchoir, un deuxième étage très haut, clos de tous les côtés par des persiennes à lames minces, à travers lesquelles passait le grand air, et qui laissaient voir des pièces de linge séchant sur des fils de laiton. A droite des réservoirs, le tuyau étroit de la machine à vapeur soufflait, d'une haleine rude et régulière, des jets de fumée blanche. Gervaise, sans retrousser ses jupes, en femme habituée aux flaques, s'engagea sous la porte, encombrée de jarres d'eau de javel. Elle connaissait déjà la maîtresse du lavoir, une petite femme délicate, aux yeux malades, assise dans un cabinet vitré, avec des registres devant elle, des pains de savon sur des étagères, des boules de bleu dans des bocaux, des livres de bicarbonate de soude en paquets. Et, en passant, elle lui réclama son battoir et sa brosse, qu'elle lui avait donnés à garder, lors de son dernier savonnage. Puis, après avoir pris son numéro, elle entra."

A Chaudon...

Renée Jastière, née en 1906 à La Hauteville, est, elle, souvent allée au lavoir.

La Hauteville. (Yvelines). Recensement 1911.

Mais...

Ecoutons plutôt ses mots tels qu'enregistrés par M. et Mme Buisson, le 28 septembre 1999 :

....................................................

"A l'âge de 12 ans, j'accompagnais ma mère au lavoir, avec la boîte à laver. On préparait le linge la veille, le matin on lavait, on faisait bouillir dans la lessiveuse, et on allait rincer au lavoir de Dancourt à côté de Senantes où je suis née. 

Boîte à laver et battoir.

On emmenait toutes les couleurs à sec pour les laver au lavoir. Je lavais les petites choses, pas les chemises d'hommes, mais les serviettes, les mouchoirs, le petit linge. J'avais ma boîte à laver, ma brosse et mon morceau de savon.

Il y avait des personnes qui battaient le linge avec le battoir, mais, moi, je n'en avais pas. Ma mère non plus ne le faisait pas, soi-disant que ça faisait enlever le savon du linge. Quand il était bien rincé, on le battait pour évacuer l'eau, s'il en restait.

Il y avait des branches, et au fur et à mesure qu'on lavait, on mettait le linge dessus à égoutter ; le temps qu'on lavait le reste du linge, c'était bien égoutté. On lavait le blanc avant la couleur. La couleur à sec, c'était rare qu'on lavait la couleur à l'eau tiède, les tabliers des enfants, de ma mère, tout ce qu'on portait à l'époque, les gros bas de coton noir ou marron. Le plus difficile, c'était les pantalons des hommes, de mon père et de mon frère. Ils mettaient des vestons à cette époque-là, c'était assez dur à laver, les chemises étaient en gros coton, elles étaient lourdes, c'était pas comme les chemises de maintenant, il n'y a pas de comparaison, pas du tout du tout ! Seulement on était contente de partir au lavoir, on retrouvait des copines et on bavardait. C'était surtout sur l'une ou sur l'autre, c'était d'ailleurs pas toujours vrais. Dans tous les lavoirs, c'était comme ça, d'ailleurs, il y avait écrit sur le mur du lavoir "Ici on lave le linge et on salit le monde".

On n'avait pas beaucoup de distractions à l'époque, on n'avait ni samedi ni dimanche.

Le dimanche, on amenait les bêtes aux champs, les vaches.

Alors on les mettait au piquet avec une grande chaîne et on raccommodait nos bas, voilà, tout en gardant les vaches.

Au lavoir, il y avait des places qui étaient meilleures que d'autres, parce que l'eau était plus profonde, c'était à qui les aurait, parce que plus loin, il y avait des herbes, alors quand on lavait les draps, ça ramenait toute la saleté. Il y avait toujours quatre places qui étaient plus convoitées. On n'avait pas de place particulière, les premières arrivées avaient les meilleures places.

Quand je me suis mariée, j'ai continué à laver deux fois par semaine, et, quand je suis arrivée à Chaudon, je partais avec mon linge et ma brouette au lavoir Route Nationale, c'est une source, à 1 kilomètre environ, j'allais rincer les draps, c'était de gros draps pas comme les petits draps de maintenant et je les mettais à califourchon sur la barre du lavoir pour égoutter.

C'était dur, mais, on était habitué aux travaux durs, c'était normal.

Dans le temps, on faisait chauffer l'eau dehors dans une grande chaudière et quand il faisait beau, on frottait notre linge dehors. On versait l'eau dans un baquet sur un trépied et on lavait notre linge à la main sur une planche avec la brosse et le savon.

Tous les ans, on faisait la grande lessive, c'est-à-dire on vidait les armoires, les draps étaient dépliés, les chemises d'hommes, de femmes, tout était mis dans un grand baquet - un cuvier -, dans le fond du cuvier, on mettait des branches de vignes séchées, des sacs de pieds de lavande sèche, on mettait une grande toile faite exprès par-dessus tout ça, et on entassait tout le linge ans le cuvier, on mettait même des cendres de bois sur le dessus. Alors, à côté, dans la chaudière, on faisait chauffer l'eau que l'on versait sur le linge avec une sorte de boîte avec un long manche, on faisait ça pendant une demie journée. Il y avait un tuyau qui sortait du cuvier et l'eau qui s'écoulait repartait à la chaudière. On lavait du linge propre, et on partait rincer au lavoir. Souvent c'étaient les hommes qui emmenaient les brouettes.

Je garde un très bon souvenir de cette période, parce qu'on pouvait bavarder.

C'était dur, mais on n'y pensait pas, on avait l'habitude.

Je crois qu'il faut garder les lavoirs, c'est un souvenir d'une autre époque."

...............................................

Cet article a été possible grâce à Paulette Buisson des Ondes Buissonnières, Croisilles.

M. et Mme Buisson ont édité un petit fascicule intitulé "Au temps des lavandières".

Où sont enregistrés les souvenirs de quelques lavandières du canton et du département :

- Madame Daudigny, Boutigny-Prouais,

- Madame Lucienne Galerne, Boutigny-Prouais,

- Madame Denise Malbosc, de Jouy,

- Madame Mauricette Feic, La Musse, Boutigny-Prouais,

- Mesdames Geuffroy et Frouel, Croisilles,

- Mme Etiennette Ugolini, Croisilles,

- Madame Brier, Blévy,

et,

- Madame Jastière, notre chaudonnaise, dont vous pouvez lire l'interview ci-dessus.

Renée Jastière qui est, elle, partie converser au bord du grand lavoir.

Novembre 2010.

Et...

Dans ce coin de paradis exclusivement réservé aux femmes...

On l'entend parfois fredonner :

"Tant qu'y aura du linge à laver
On boira de la Manzanille
Tant qu'y aura du linge à laver
Des hommes on pourra se passer
Et tape et tape et tape sur ton battoir
Et tape et tape tu dormiras mieux ce soir." (*)

Les Buisson ont également organisé plusieurs expositions sur le sujet.

Qu'ils soient ici remerciés !

 

Liliane Langellier

(*) in la chanson Les lavandières du Portugal.

 

Le livret des Buisson

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