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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Pourquoi Molière règne toujours sur la comédie française...

Molière ne rit de rien, il nous donne de l’esprit.

Agnès Jaoui (Philaminte), Évelyne Buyle (Belise), Philippe Duquesne (Trissotin) et Chloé Berthier (Armande) dans Les Femmes Savantes, mise en scène de Catherine Hiegel au Théâtre de la Porte Saint Martin en 2016. Brigitte ENGUERAND/Divergence

TÉMOIGNAGES - Agnès Jaoui, Julie Depardieu ou Denis Podalydès parlent du dramaturge et disent pourquoi il est moderne.

Isabelle Adjani, Michel Bouquet, Jacques Charon, Jacques Weber, Mario Gonzalez, Michel Aumont, Catherine Hiegel ou Michel Piccoli ont incarné Molière. Il reste un Graal dans tout parcours de comédien. «C’est un ami pour la vie», affirme Agnès Jaoui, qui était Philaminte, l’épouse de Chrysale (Jean-Pierre Bacri), dans Les Femmes savantes, mises en scène par Catherine Hiegel en 2016. «ll écrit tellement bien! poursuit l’actrice, scénariste et réalisatrice. Il était ouvert et libre. Comme chez tous les grands auteurs, on le relie à différents âges de sa vie et on comprend des éléments qu’on ne comprenait pas avant. Il révèle quelque chose de vous-mêmes. À un moment, vous réalisez que vous êtes un peu Arsinoé, un peu Alceste ou un peu Célimène.»

L’intemporalité et l’universalité, c’est là sans doute que réside la modernité du dramaturge. «Molière, c’était le peuple sur scène comme Chaplin au cinéma», résume Francis Huster, qui insiste auprès d’Emmanuel Macron pour le faire entrer au Panthéon. Il estime d’ailleurs qu’il faut monter ses pièces comme s’il venait de les écrire.

Le père des auteurs comiques

Pour Denis Podalydès, qui sera Orgon dès ce samedi soir dans Tartuffe ou l’Hypocrite, à la Comédie-Française, Molière a inventé la «comédie contemporaine». Soit «un théâtre où le public venait découvrir les histoires, les caricatures, les travers du temps et reconnaissait telle personnalité à travers tel personnage», explique son interprète. «Quoi de neuf? Molière!», s’exclame Pierre Arditi qui l’a beaucoup joué et devrait s’atteler prochainement au Malade imaginaire monté par Catherine Hiegel. Et le comédien d’illustrer son propos: «Le faux dévot qui se sert de la religion pour arriver à ses ambitions personnelles rappelle des choses qui ne se passent pas forcément il y a plus de trois siècles et pourraient avoir lieu aujourd’hui.»

Agnès Sourdillon et Pierre Arditi dans L’École des femmes, mise en scène de Didier Bezace, au Festival d’Avignon en 2001. Pascal Victor/ArtComPress via opale.photo

De fait, les défauts que Jean-Baptiste Poquelin pointe du doigt dans ses œuvres ne nous sont pas étrangers: «Nous sommes sensibles à l’avarice d’Harpagon, à l’hypocondrie d’Argan, à la misanthropie problématique d’Alceste, à la crédulité d’Orgon ou à l’hypocrisie de Tartuffe», indique Podalydès. Agnès Jaoui renchérit: «Il a créé des typologies qui existent encore et touchent toutes les générations. Il traite de sujets qui nous parlent toujours, il était contre l’ordre établi, la bigoterie, le pouvoir dans ses mauvais aspects. C’est pour cette raison qu’il est éternel.»

Il se permet tout, c’est nous qui ne nous permettons plus rien. Sa liberté est comme celle de Mozart, sans limites

Julie Depardieu

«C’est notre père à nous les auteurs de comédies», disait le regretté Jean-Pierre Bacri. Julie Depardieu, Célimène charmeuse dans une mise en scène baroque de Michel Fau en 2014, approuve. D’après elle, Molière a «tout compris» à la nature humaine, à sa cruauté, ses contrastes et ses excès: «Il est dans la vérité, dit-elle. Il se permet tout, c’est nous qui ne nous permettons plus rien. Sa liberté est comme celle de Mozart, sans limites.»

Il en est de même dans la façon qu’a l’auteur des Précieuses ridicules d’aborder les rapports homme femme. Pour Podalydès, ils sont également «passionnants aujourd’hui», mais c’est aux acteurs et aux metteurs en scène d’en «réactiver la vivacité, et de nous concerner», en rendant la pièce moderne. Huster le prédit, «le XXIe siècle sera l’époque des 20 ans et dominé par les femmes. Chez Molière, elles sont sublimées, à la différence de Marivaux».

Après le mouvement MeToo, les mots de l’auteur résonnent étrangement. «Je ne dis pas qu’il est féministe, mais il est moins misogyne que je le pensais sauf dans L’École des femmes, signale Agnès Jaoui. Il offre aux comédiennes des rôles riches et développés. Dans Les Femmes savantes, par exemple, Philaminte conseille à sa fille de cultiver son intelligence, qui va grandir contrairement à la beauté, qui se flétrit.»

«Ses servantes comme Dorine sont intéressantes», ajoute Julie Depardieu, dont les modèles restent ses parents, Élisabeth Depardieu sous la robe d’Elmire et Gérard Depardieu, Tartuffe manipulateur, dirigés par Jacques Lassalle, qu’elle a vus en 1984, à 11 ans (son père en a réalisé un film).

Ne pas penser aux références

Agnès Jaoui a aussi été une «très jeune» Célimène au Cours Florent. Molière est «facile», dit-elle, «très agréable à interpréter.» Denis Podalydès n’est pas intimidé mais enthousiaste à l’idée de le jouer: «Quand on vient d’entrer au Français, qu’on ne se sent pas une grande expérience et qu’on joue Alceste, alors oui c’est intimidant. Mais quand on joue Orgon après vingt ans dans la troupe sous la direction d’Ivo Van Hove, on se sent pousser des ailes.»

C’est aussi le cas pour Francis Huster, qui vient de publier un Dictionnaire amoureux sur son maître (Plon) et Poquelin contre Molière, Un duel à mort (Armand Colin). «Molière nous dit: “Fais ce que tu veux, fonce.” C’est euphorisant, lance l’acteur. Il faut tout oser, ne pas penser aux références. Au lieu de se demander pourquoi on le joue ou comment, on doit le jouer comme on est soi, comme Raimu qui a joué Pagnol, le Molière de son époque.»

En commençant à jouer, on peut être plein de peur, mais le rôle, la plupart du temps, vous prend, vous embarque et transforme tous vos affects

Denis Podalydès

Mélissa Prat, 34 ans, actuellement Élise dans L’Avare, mis en scène par Daniel Benoin au Théâtre des Variétés, est sur la même longueur d’onde: «On arrive à se l’approprier une fois qu’on a en tête la situation», observe celle qui a découvert Molière au collège avec Les Fourberies de Scapin. «Vers 16 ou 17 ans, j’ai joué Charlotte dans Dom Juan et Claudine dans Georges Dandin, précise-t-elle. Élise fait un peu office de tampon entre Harpagon son père et son frère Cléante. Je m’amuse à faire réentendre le texte, qui reste d’actualité.» Lors d’une représentation devant des élèves, Mélissa Prat les a d’ailleurs vus se lever à la fin !

«On peut être impressionné mais le travail et la mise en scène font que ça devient concret et on relativise», lance Christophe Montenez, 33 ans, Tartuffe investi ce samedi soir face à Podalydès. Et acteur «intuitif» sur scène.

Denis Podalydès dans L’Avare, mise en scène de Catherine Hiegel en 2009. Brigitte ENGUERAND/Divergence

Comme Julie Depardieu, qui trouve Molière «balèze» à jouer. «On se dit qu’on ne le répète jamais assez, il faut l’avoir lu et relu et travailler énormément pour ne pas avoir peur des alexandrins», note-t-elle. D’ailleurs, pour Célimène, elle ne s’est pas sentie à la hauteur. Elle était tellement impressionnée par cette aventure qu’à l’instar de Michel Fau, entre deux représentations, elle est tombée malade !

Heureusement, c’est une exception. D’après Denis Podalydès, tout dépend du contexte: «En commençant à jouer, on peut être plein de peur, mais le rôle, la plupart du temps, vous prend, vous embarque et transforme tous vos affects.» Le comédien a découvert le dramaturge, et d’ailleurs le théâtre, grâce à son frère, Bruno Podalydès. À «8 ou 9 ans», le réalisateur le fait jouer Carle dans Les Fourberies de Scapin. Depuis, à son tour, il a dirigé Benjamin Lavernhe dans Scapin, Didier Sandre et Gilles David dans les rôles de Géronte et d’Argante, et Pascal Rénéric dans Le Bourgeois gentilhomme. «Ils m’ont tout appris du peu que je sais», observe un Podalydès modeste.

Le Misanthrope est la pièce qu’il a le plus interprétée et dans laquelle il «aime toujours autant» se «promener». Mais pour lui, Harpagon est «le rôle parfait. Ce fut le plus grand bonheur de jeu atteint jusqu’à ce jour. C’était aussi grâce à Catherine Hiegel, qui m’a mis en scène», confie Podalydès. «Catherine Hiegel est un gage de qualité très rassurant», renchérit Agnès Jaoui, qui, elle, «aime d’amour» Alceste, «sa toute-puissance, sa liberté, ses contradictions, son côté infiniment humain, son courage».

De son côté, Francis Huster considère Dom Juan comme un chef-d’œuvre, mais il a le «choc» de sa vie le jour où il voit Robert Hirsch en Sosie dans Amphitryon, mis en scène par Jean Meyer en 1957. «C’est là que je me suis dit: “Je veux faire ce métier”», dit-il. En 1992, il est sur un petit nuage, il dirige Robert Hirsch en Oronte dans Le Misanthrope, dont lui-même joue le rôle-titre: «Molière ne rit de rien, il nous donne de l’esprit.»

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