Rédigé par Liliane Langellier et publié depuis
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Dans un livre d’Yves Pourcher qui prétend dresser le portrait de Laval vu par sa fille apparaît plutôt le portrait inattendu d’une reine de Paris, sous l’Occupation mais aussi après-guerre, au destin brillant et tragique.
Laval. Ça s’est tassé, mais il fut longtemps l’homme le plus haï de France. Haï à droite, haï à gauche. Président du Conseil sous Pétain, la Résistance tenta de le tuer. Dans le même temps, « Je suis partout » écrivait de lui :« Dans maquignon, il y a maquis. »Et aussi :« Napoléon disait, parlant de Talleyrand : c’est de la merde dans un bas de soie. Où est le bas de soie ? »Quelqu’un l’adorait : sa fille.
Curieux livre, par un curieux historien. Un ethnologue, en fait. Il avait publié, en 1994, une vie des Français pendant la guerre de 14-18. Il voulait poursuivre en étudiant le traumatisme de la guerre à travers l’exemple d’un homme politique, avait choisi Laval parce que auvergnat et qu’il aime l’Auvergne, et parce que pacifiste. L’étude devait s’arrêter en 1939. Il se présenta chez le gendre de Laval, comte de Chambrun, lequel lui ouvrit toutes grandes ses archives, celles de sa défunte, alla jusqu’à lui confier les clés de son appartement, place du Palais-Bourbon. Yves Pourcher se trouva immergé dans la vie de Josée Laval, y passa cinq ans. De 1936 à 1992, elle avait tout noté. Pourcher recopiait, amassait, se faisant préciser tel ou tel détail par le veuf, 88 ans au début de leur relation. Il leur arrivait de partager leur repas, dans la grande cuisine de l’immense appartement. Une fois ou l’autre, on dîna ensemble chez Maxim’s, à la table de Josée Laval.
Pas de jugement, ni historique, ni politique, ni moral. L’auteur rapporte, en un apparent désordre, qui donne vie à l’ensemble, qui parfois laisse sur sa faim. S’étonnera-t-on si Laval, dont le chef de la police s’appelait Bousquet, l’organisateur de la rafle du Vel’ d’Hiv’, avait eu comme secrétaire particulier, jusqu’à la guerre, Roger Stora ? Si son principal collaborateur, dans son cabinet d’avocats d’affaires, s’appelait Maurice Blum ? En se rendant au lycée Molière, classe de troisième, dans les années 20, Josée Laval passait tous les jours prendre sa meilleure amie, laquelle dit aujourd’hui :« Nous sommes de bonne bourgeoisie juive. »Elles furent amies toute leur vie, pendant près de soixante-dix ans. Comment se peut-il, se demande-t-on, qu’on puisse être à la tête d’un gouvernement dont la politique est l’antisémitisme d’Etat, et être intime avec des juifs ? La proposition peut se retourner : comment peut-on être juif et intime des Laval ? C’est un fait. Fin des années 40, Lazareff, patron de l’alors puissant « France-Soir », de l’influent « France-Dimanche », fréquente Josée Laval, elle est invitée à son mariage.
« Il monte magnifiquement en panier à salade »
Elle est née en 1911. Dès l’adolescence, elle accompagne son père, ministre des Affaires étrangères, dans ses voyages. La mère reste à la maison. Jusqu’en 39, c’est une vie de globe-trotter. Laval a deux signes distinctifs : sa cravate blanche, sa fille. La laideur, aussi, qu’on lui trouve, souvent objet d’un rejet proprement racial. Drieu la Rochelle, journal intime, juin 44 :« Je ne le tiens pas pour français, c’est je ne sais quel métèque fait derrière une meule par un Gitan à quelque Auvergnate. »En septembre 45, après que Franco a livré Laval à de Gaulle, Laval est conduit chaque jour chez le juge d’instruction de la Haute Cour, dont les bureaux sont au Palais-Bourbon. De son appartement, sur la place, elle écrit :« Il monte magnifiquement en panier à salade. »Elle a le droit de descendre pour l’embrasser, à l’arrivée et au départ pour la prison. Il est« beau ».
En août 44, les Allemands contraignent Laval et sa femme à les suivre, direction Sigmaringen. Josée peut partir avec eux, mais son mari alors veut les suivre. Pour lui éviter ce danger, elle reste. Charles de Chambrun pense qu’elle aurait pu sauver son père, qu’elle aurait convaincu Franco. Quand il est fusillé, on l’enterre au carré des suppliciés, où son corps doit rester, c’est la règle. En quelques jours, elle obtient de le transporter dans le caveau de famille, au cimetière Montparnasse. Dans l’ombre de son père, privée d’un rôle actif, car les affaires de la France, sous la IIIe République et sous l’Etat français, sont affaires d’hommes, elle devient après sa mort, pour quasiment un demi-siècle, le défenseur de sa mémoire.
Josée Laval a eu deux haines : Leuret, le médecin de la prison, qui, malgré deux autres, empêcha Laval de mourir du poison qu’il avait pris, pour qu’on pût le mener au poteau, et de Gaulle. Elle avait ameuté tout le monde pour que de Gaulle gracie son père, jusqu’au confesseur. De Gaulle fut de glace. Le nom, l’image, la voix, l’existence de De Gaulle, quand on est née Laval, ce fut la croix que Josée Laval dut porter. Elle, qui ne fit jamais son deuil, qui à chaque anniversaire se rendait à Fresnes, sur le lieu de l’exécution, à Montparnasse, au cimetière, qui parlait à son père sur sa tombe, où elle lui racontait tout, de Gaulle l’obsédait comme auraient été obsédées des victimes du régime dirigé par son père s’il avait réchappé. En 1952, elle reçut cette claque. De Gaulle, dans une conférence de presse, compare la France de 1952 à celle de 1938 :« Il ne manque que Laval. Au fait, qu’est-il devenu, celui-là ? »
Pierre Laval vu par sa fille, par Yves Pourcher, Le Cherche Midi, 572 p., 22 euros.
Henry Rousso ... "J'ai enfin pu visionner votre film sur Josée Laval lors d'un voyage à ... . Le propos rend bien l'atmosphère autour de Laval, la distance prise...
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