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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

“Hollywood”, sur Netflix : de qui sont inspirés les personnages de la série ?

Dans “Hollywood”, minisérie sur l’âge d’or du cinéma américain disponible sur Netflix, Ryan Murphy décrit le combat fictif d’un jeune trio désireux de triompher du racisme, du sexisme et de l’homophobie. Et n’hésite pas à mêler faits réels et réécriture de l’Histoire.

Dans sa minisérie Hollywood, disponible depuis le 1er mai sur Netflix, Ryan Murphy fait revivre l’âge d’or du cinéma américain, à la fin des années 1940 et dans les années 1950, où les femmes, les gays et les noirs auraient pris le pouvoir. Le showrunner militant mêle faits réels et fiction. Gros plan sur des partis-pris qui divisent le public.

Une fiction pour jeunes gens “éveillés”

Située à la fin des années 1940 et dans les années 1950, Hollywood met en scène des jeunes gens ambitieux à l’assaut des grands studios de cinéma californiens. Ce groupe fictif compte notamment Camille, une actrice noire (Laura Harrier), Archie, un scénariste gay (Jeremy Pope), et Raymond, un réalisateur métis asiatique (Darren Criss), soudés autour de leur projet de grand mélo, Meg, qui évoque un amour interracial. Autrement dit, ils veulent triompher du racisme, du sexisme et de l’homophobie – combats encore loin d’être gagnés plus de soixante-dix ans après… Ces personnes sont avant tout les représentants d’une identité, destinés à interpeller le cœur de cible de la série : la jeunesse woke (« éveillée ») d’aujourd’hui, très clairvoyante sur l’oppression des minorités et qui, face à elle, ne veut plus cacher sa colère.

 

 

Ironiquement, ce sont deux autres personnages de la série qui marquent les esprits : le plus âgé, une septuagénaire devenue la première femme à diriger un studio, interprétée par Patti LuPone, et le plus vil, un agent qui façonne des stars et les viole sur son canapé, inspiré par le vrai Henry Willson (1911-1978) et incarné par l’acteur Jim Parsons.

Prostitution, industrie du rêve… L’envers du décor

Un autre des jeunes loups, Jack (David Corenswet), vétéran de la Seconde Guerre mondiale qui rêve de devenir acteur mais joue surtout les gigolos pour survivre, illustre en revanche avec succès une réalité : la prostitution comme antichambre du star-system de l’époque. Ce personnage et celui de son patron, le suave et moustachu Ernie (Dylan McDermott), sont inspirés du légendaire proxénète Scotty Bowers (1923-2019). La série recrée sa couverture : la station-service où il opérait, au coin de North Van Ness Avenue et Hollywood Boulevard. Alors, même si on nous refait le coup du mac au grand cœur, on prend plaisir à le voir couver ses tapins masculins, grimés en pompistes aux chemises blanches immaculées, qui fument devant les pompes à essence sans craindre l’incendie : Hollywood est une fantaisie désinhibée.

 

 

Une autre astucieuse plongée dans l’envers du décor repose sur ACE Pictures. Cette entreprise fictive, où se déroule une grande partie de l’intrigue, synthétise tout ce qu’ont représenté les grands studios. Son entrée principale, où se presse la foule des figurants en quête d’un job (dont Jack), est, dans la réalité, la fameuse Porte Bronson, qui donne accès aux studios – toujours en activité – de la Paramount.

 

Bousculer les dogmes hétérosexuels de Hollywood

Bisexuel assumé, Scotty Bowers aurait couché ou arrangé des passes avec Bette Davis, Cole Porter, Vivien Leigh, Katharine Hepburn, Spencer Tracy, Wallis Simpson, Edward VIII et le directeur du FBI J. Edgar Hoover, travesti pour l’occasion. Il se serait même adonné au triolisme avec Ava Gardner et Lana Turner (dans la maison de Frank Sinatra), puis avec Cary Grant et son amant Randolph Scott.

Bowers savait garder ses secrets mais, à 90 ans, cet ultime représentant d’un monde englouti les a tout de même divulgués en publiant ses Mémoires (1). Non pour trahir ses clients, mais pour bousculer les dogmes hétérosexuels de Hollywood. C’est exactement l’ambition de la série, qui s’inspire beaucoup de ses révélations. Sans juger, car Bowers le disait : « J’ai couché avec tellement de stars que je n’ai jamais eu le temps de voir leurs films. »

 

Le véritable Scotty Bowers avec deux actrices

À l’époque surveillé par la Vice Squad, Bowers troquera son emploi de pompiste contre celui, plus discret, de barman dans les soirées privées et huppées, où il alimentera son carnet d’adresses. Certaines d’entre elles, organisées chez le cinéaste George Cukor (Une étoile est née, Le Milliardaire…), sont mises en scène dans la série ‒ d’après les souvenirs de Bowers ‒ comme des orgies romaines dans un éden gay, cependant accessibles aux femmes (en particulier l’actrice de Lifeboat, de Hitchcock, Tallulah Bankhead).

D’Eleanor Roosevelt à Vivien Leigh… de vrais noms

Les souvenirs de Bowers étant invérifiables, Hollywood a suscité à son tour des interrogations, pour sa propension à mélanger le vrai et le faux. Le personnage de Camille, la jeune première noire qui doit jouer dans Meg, est fictif, mais inspiré de Dorothy Dandridge, première Noire américaine nommée pour l’Oscar de la meilleure actrice pour Carmen Jones d’Otto Preminger (1954). Celui d’Eleanor Roosevelt, qui soutient la production du fameux mélo de notre jeune trio, est là pour rappeler que l’épouse du président des États-Unis a réellement encouragé la mise en œuvre de films, lorsque son fils travaillait à Hollywood (même s’il s’agissait de fictions anti-nazis). Enfin, Vivien Leigh (Autant en emporte le vent, Un tramway nommé désir…) était réellement bipolaire, comme la série le relate trop brièvement : Ryan Murphy a en effet en projet un biopic sur cette star, avec Nicole Kidman.

 

Vivien Leigh

L’hommage à trois véritables figures de l’égalité

En associant personnalités réelles du cinéma, de façon plus ou moins romancée, et personnages fictifs, Hollywood entend surtout rendre hommage à trois comédiens emblématiques des luttes en faveur d’une industrie plus inclusive. D’abord l’actrice sino-américaine Anna May Wong, qui jeta l’éponge, lassée de jouer toujours et encore la tentatrice mystérieuse et orientale (Shanghaï Express, Fleur de lotus, Le Voleur de Bagdad…) et qui – dans la série – a le toupet de vouloir vieillir à l’écran. L’actrice afro-américaine Hattie McDaniel, condamnée à jouer les servantes noires débonnaires après avoir gagné en 1940 l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle pour Autant en emporte le vent, fait également l’objet d’un hommage. La série honore aussi le beau gosse dans le placard, Rock Hudson (Géant, Écrit sur du vent…), dont la double vie s’accompagna d’un comportement autodestructeur. Il fut sous contrat avec l’agent Henry Willson, bien connu pour encourager la promotion canapé. Dans un moment d’uchronie saisissant, Hollywood le montre foulant au contraire le tapis rouge au bras de son compagnon, en 1948 !

 

L'agent Henry Willson et Rock Hudson

De Glee à Nip/Tuck, Ryan Murphy a toujours été du côté des minorités. Et n’oublions pas le personnage principal du fictif Meg. Il s’inspire directement de la vraie Peg Entwistle. Cette jeune actrice était blanche, mais elle ne s’est jamais remise d’avoir été coupée au montage du film qui devait la lancer, en raison d’une de ses répliques, à sous-entendus lesbiens selon les censeurs. Elle se suicida en se jetant du haut du H géant du « Hollywood » trônant sur une des collines de Los Angeles, et a droit, dans Meg, à une seconde chance complètement imaginaire.

La réputation, valeur cardinale

Hollywood fait bien entendu grand cas des clauses morales et contractuelles qui obligent les acteurs, alors propriétés des studios, à cacher leur orientation sexuelle pour se conformer à ce que Gore Vidal appelait la dictature de l’hétérosexualité. Dans le sillage du code Hays (une charte qui musellera les productions américaines durant trois décennies à partir des années 1930), les stars se doivent de conserver des réputations aussi propres que les films dans lesquels elles tournent, au risque d’une grande misère affective et sexuelle. Des agents sont payés pour que la face cachée du cinéma le reste et qu’ils évitent à leurs poulains arrestation et racket, voire internement dans un institut psychiatrique et lobotomie. Ainsi, afin de sauver les apparences, l’agent Henry Willson organise le mariage de Rock Hudson avec sa secrétaire Phyllis Gates et entretiendra les rumeurs autour des amours présumées de l’acteur avec ses partenaires de tournage, comme Claudia Cardinale.

Uchronie ou anachronie ?

Les anachronismes de Hollywood font penser à ceux des films de Quentin Tarantino Inglourious Basterds (avec les dirigeants nazis carbonisés) et Once Upon a Time in… Hollywood (avec Sharon Tate épargnée). En son temps, Naissance d’une nation (1915) de D.W. Griffith avait contribué à la renaissance d’un Ku Klux Klan alors moribond : pour Ryan Murphy, si Hollywood peut faire des dégâts, il doit aussi pouvoir faire le bien (et, en passant, se congratuler sur son progressisme rédempteur). C’est tout l’intérêt et la limite de cette série située dans une réalité parallèle.

(1) Full service. Sexe, amours et secrets de stars à Hollywood, éd. Hugo Doc, 2013.

 

 

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