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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

L'affaire Grégory enfin sur Netflix

Article du Monde du 15 Novembre 2019
Avec la série documentaire « Grégory », Netflix mise sur le suspense à la française

La plate-forme américaine a diffusé à partir de mercredi une mini-série documentaire en cinq épisodes sur l’affaire non résolue du meurtre de Grégory Villemin. Avec en tête le marché international.

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Un énième documentaire aux images remâchées sur l’affaire Grégory, à s’ingurgiter sur une chaîne de la TNT avant la sieste du dimanche après-midi ? Pas exactement. A partir du 20 novembre, 158 millions d’abonnés Netflix répartis dans plus de 190 pays pourront découvrir Grégory, une série documentaire de cinq épisodes, customisée en grosse production, sur le meurtre non élucidé de Lépanges-sur-Vologne.

La plate-forme américaine s’est emparée de la tragédie vosgienne encore irrésolue et le résultat est assez bluffant. Truffé de témoignages et de documents audiovisuels inédits, le documentaire devrait combler les obsessionnels, nombreux, d’un fait divers hors norme et tenir en haleine tous ceux qui n’ont jamais entendu parler de ce 16 octobre 1984, jour de la découverte du corps d’un enfant de 4 ans, pieds et poings liés, dans la Vologne.

Tous les éléments de magnétisme y sont, et plus encore : la voix du « corbeau », la fatuité du « petit juge » Lambert qui bâcle l’enquête initiale et finira par se suicider en 2017, la guéguerre entre policiers et gendarmes, la terrible bataille familiale au sein du clan Villemin, la folie médiatique et les pratiques de certains journalistes qui font tout déraper, les bandes sonores du photographe de Paris Match, Jean Ker, qui enregistrait ses échanges avec les protagonistes de l’affaire, Marguerite Duras qui accuse la mère du petit Grégory dans Libération, les obsessions fatales du juge Simon, les rebondissements macabres et judiciaires les plus récents…

Si les Français sont devenus familiers des soubresauts insensés de cette histoire « bigger than life », il fallait pouvoir intéresser le monde entier avec un conte noir qui se tisse dans un village aussi attrayant qu’une remise à outils, avec, en têtes d’affiche, les bacchantes très gauloises de Bernard Laroche et les 4L très franchouillardes de nos gendarmes à képi. Pas gagné pour faire un malheur aux États-Unis, déjà gavés de documentaires fleuves sur des tueurs en série…

« Au contraire, réplique Élodie Polo Ackermann, productrice française de la série. Netflix, qui voulait se développer sur le marché français, a tout de suite été intéressée. Avec une exigence : faire du made in France, ne pas raconter l’histoire à l’américaine, tout en ayant pour objectif de s’adresser à un public étranger et jeune. Car la plate-forme pense que cette affaire, malgré ses spécificités françaises, peut avoir un retentissement international. » L’une des quatre coréalisatrices de la série, la journaliste Patricia Tourancheau, auteure de Grégory, la machination familiale (Seuil, 2018), en est persuadée : « En lui-même, cet énorme fait divers recèle tous les ressorts de la dramaturgie classique, analyse-t-elle. Une histoire intemporelle qui mêle jalousie, haine, amour… Ce qui permet de la raconter selon les codes d’une fiction universelle. »

Les parents de Grégory, Jean-Marie et Christine Villemin, à leur arrivée au palais de justice d’Epinal, le 22 novembre 1984. ERIC FEFERBERG / AFP

Netflix n’a pas lésiné sur les moyens. La production n’a pas communiqué le montant du budget alloué, mais, pendant un an, elle a enrôlé une cinquantaine de personnes pour construire la série et produire deux cents heures d’entretien des protagonistes encore vivants. Les parents de Grégory apparaissent dans le documentaire grâce à une centaine d’heures d’images d’archives dénichées par les trois documentalistes. La productrice voulait « une équipe hors norme, qui mêle des talents fictionnels et documentaristes, pour ne pas raconter l’affaire comme elle l’a déjà été cent fois ».

C’est Gilles Marchand, scénariste de Harry, un ami qui vous veut du bien (2000) et réalisateur de Qui a tué Bambi ? (2003), « et pas du tout documentariste », selon l’intéressé lui-même, qui a été engagé comme showrunner (l’équivalent du réalisateur pour les séries). « J’étais obnubilé par le fait que le téléspectateur soit dans le même état que la population qui, à l’époque, découvrait au fur et à mesure les rebondissements de l’affaire. La chronologie avance pas à pas pour faire ressentir tous les rouages de cette mécanique infernale dans laquelle on est emporté. La série commence d’ailleurs avant la découverte du corps. »

Un pur récit accessible

Pas d’acteur, pas de reconstitution, pas de voix off, pas de tours de passe-passe narratifs, on est dans un pur récit accessible à n’importe quel profane. « On est au croisement entre une histoire iconique, incroyable sous tous ses aspects, et les nouvelles écritures que pouvaient exiger un diffuseur comme Netflix », précise Élodie Polo Ackermann. Aussi étonnant que cela puisse paraître, « la plate-forme a une forme de souplesse, ajoute Gilles Marchand. Elle ne nous a pas imposé de cadre rigide, notamment sur la durée. On nous a juste dit :  “Tant que ça reste fort, vous faites aussi long que vous voulez.” Bref, on s’est sentis très libres. »

Pour espérer un succès international, il fallait toutefois enjamber plusieurs difficultés de compréhension pour un public non français : « Le corbeau, par exemple, est issu d’un folklore très français, lié au film de Clouzot [sorti en 1943], détaille Gilles Marchand. Il faut arriver à l’expliquer, l’air de rien. Les subtilités du système judiciaire français aussi. Ce n’est pas du tout évident. Tout comme présenter l’écrivaine Marguerite Duras et remettre sa tribune dans le contexte, sans que cela entrave le récit. »

Une affaire judiciaire en cours

Autre écueil, et non des moindres : le meurtre de Grégory Villemin est une affaire judiciaire en cours. « Il fallait donc traiter cette histoire de manière impartiale et neutre, souligne Élodie Polo Ackermann. Donner la parole à tout le monde, dans les archives et dans les interviews réalisées. De toute façon, on ne voulait pas faire une enquête ou une contre-enquête, ni faire dans le sensationnalisme. Au final, je pense que le spectateur aura envie de savoir qui a tué le garçonnet, mais sera tout autant fasciné par cet emballement, cette espèce de folie autour de ce meurtre qui a pu faire dérailler le cours des choses. Un emballement auquel on participe tous. » Depuis 1984, la vérité se dérobe, et avec elle le nom du (ou des) meurtrier(s). Mais ce n’est peut-être pas l’élément le plus terrifiant qui vous saisira lorsque vous arriverez au terme du cinquième épisode.

 

L'affaire Grégory enfin sur Netflix
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