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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Françoise Giroud. 21 septembre 1916 - 19 janvier 2003.

Si tu avances, tu meurs ; si tu recules, tu meurs. Alors, pourquoi reculer ?
Devise des guerriers zoulous.
Citation en exergue du livre.

20 ans déjà que...

"Françoise" est partie vers le paradis des journalistes un certain 19 janvier 2003.

Suite à un traumatisme crânien occasionné par une mauvaise chute.

Elle avait 86 ans.

Mais quelle carrière pour ce petit bout de femme.

Je l'ai toujours admirée.

"Françoise"...

Ce nom était encore dans tous les couloirs quand je suis arrivée au service Fabrication de L'Express en août 1982.

Nombre de journalistes et de rédacteurs en chef avaient fait leurs premières armes auprès d'elle.

Le chef des coursiers en parlait toujours avec beaucoup d'émotion.

Je l'ai croisée à l'Opéra Bastille lors de la fête pour le Numéro 2000 du magazine en novembre 1989.

Ce nom était encore dans toutes les mémoires quand j'ai quitté le journal l'été 1991.

"Françoise"...

Car c'est ainsi qu'elle aimait être appelée, pas "Madame", mais "Françoise".

"Françoise"...

J'ai lu tous ses écrits.

Mais je vais revenir sur "Leçons particulières".

Livre publié en août 1990.

Juste pour vous donner envie de ne pas passer à côté.

……………………….

Dès sa naissance, l'attendait un défi.

Seconde enfant du couple….

Son père, Salih Gourdji, fondateur de l'Agence télégraphique ottomane à Constantinople, désirait un garçon.

Elle se fit donc, pour lui, garçon manqué.

Prête à être partout la première de la classe pour lui plaire.

Pour le satisfaire.

Sa mère, Elda Faraggi est d'une vieille famille juive séfarade.

Petit rappel : la judéité se transmet par la mère.

Elda rencontre Salih pendant ses études de droit à Paris.

A la mort du père, en 1926, Françoise prend naturellement sa place :

"J'entrai dans ce rôle avec empressement, gonflée de mon importance. Bien qu'elle fut plus âgée que moi, ma sœur que j'appelais Douce, ne mit pas en doute que j'étais, à dix ans, l'homme de la famille ; ma mère en fit une évidence. Dans le trio uni, soudé que nous formions, j'étais supposée incarner la sagesse, la force, la raison, et porter tous les espoirs d'une revanche sur le sort funeste qui nous avait frappés."

Cette mort signe le début des années galère.

Les trois femmes sont assignées au rôle de cousines pauvres de la famille.

Françoise en souffre.

Mais garde la tête haute.

A 13 ans, dans une jolie pension, Françoise fait une rencontre qui marquera sa vie: son professeur de Français.

"Il faut choisir. Qu'il le sache ou non, tout Français est obligé de choisir entre Pascal ou Montaigne. Il y est conduit par une force qui le décrit tout entier."

Pour Françoise, ce sera Montaigne, dont elle lira les œuvres entièrement.

Dans cette pension il lui arrive une bien curieuse histoire.

Une riche héritière étrangère, Margaret, fait le mur.

Elle est entrevue de loin par le gardien quand elle réintègre la pension.

Il faut punir la coupable.

Margaret est riche. Très riche, son père est un magnat de Pittsburgh. Pas question de l'accuser.

Mais le gardien a vu, il faut donc trouver une fausse coupable.

Ce sera Françoise dont la pension n'a pas été payée depuis trois mois.

Elle découvre, ébahie, le chantage.

"Je ne savais pas ce qu'était un rapport de forces, mais j'ai appris, en cette occasion particulière, et pour la vie, que les faibles se font toujours écraser.

Ne jamais écraser : ce pourrait être une devise.

Ne jamais se laisser écraser : une résolution."

Pour gagner sa vie, Elda Gourdji tente plusieurs métiers : tenancière de pension de famille ou de maison de couture.

Tout périclite.

Ce qui laissera à Françoise une profonde répulsion pour l'amateurisme.

A quatorze ans, pour s'en sortir, elle apprend la sténo-dactylo. Répond à une annonce de L'Intransigeant et devient employée d'une librairie.

Elle avale tout le stock de livres.

Comme elle avait avalé tous les volumes de la bibliothèque paternelle.

"M'habitait à l'époque la folie des mots, de leur sonorité, de leur adéquation à ce qu'ils désignent. (…) J'aimais aussi détourner le sens des mots par la ponctuation, jeu subtil. (…) J'avais, dans ma librairie, tout loisir de m'enivrer de mots. Je m'y employai."

Et puis, c'est la rencontre décisive avec Marc Allégret, un grand ami de sa famille.

"Il fut le deus ex machina de ma vie professionnelle."

Qui passe à la librairie et qui cherche une sténo-dactylo.

Françoise fera l'affaire.

Et deviendra script-girl. Puis scénariste.

On est en 1932.

Dans les années trente, le cinéma française se porte bien. Très bien.

Y règne - comme dans d'autres milieux - mais peut-être plus que dans d'autres milieux, la terrible loi du droit de cuissage.

Passer sous le bureau du producteur pour obtenir un rôle.

Françoise voit et en tire les conséquences.

La famille de Françoise est viscéralement de gauche.

Les événements de 34 la navrent.

Elle défile en 36 au cri de "Des avions pour l'Espagne !"

Dans le cinéma, elle travaille avec les grands : Jean Renoir, Louis Jouvet, Jacques Feyder, René Clair.

C'est l'homme de radio André Gillois - alors qu'elle participe à une émission sur l'antenne de radio du Poste Parisien - qui lui trouve son nom de "Giroud" anagramme de Gourdji.

Et transforme France en Françoise.

Au moment de l'Exode, en juin 1940, elle rejoint sa soeur Douce et sa mère à Clermont-Ferrand.

Au coin de la rue où habite Douce se trouvent les locaux du journal La Montagne.

Et le quotidien régional héberge provisoirement l'équipe de Paris-Soir, dirigé par Charles Gombault, grand ami de Louis Jouvet.

Les amis de mes amis...

Paris-Soir est transféré à Lyon. Françoise suit l'équipe.

Et réussit à se faufiler jusqu'au bureau d'Hervé Mille, directeur du journal.

Pour lui présenter deux contes qu'elle vient juste d'écrire.

Mille la questionne. Et s'aperçoit très vite qu'elle connait parfaitement la vie parisienne.

Il l'embauche pour écrire des papiers sur le monde du spectacle et ses activités.

"Vous resterez là… Il n'y a pas de bureau. Tenez, il me faut trois feuillets sur… "J'ai oublié quoi. Je me souviens seulement qu'il m'a arraché chaque feuillet à peine terminé, sans me laisser relire."

Elle passe six mois à gratter du papier.

"Surtout je le voyais travailler, choisir des sujets, remanier des articles, bref faire un journal."

Quand elle quitte Lyon, l'activité cinématographique a repris à Paris.

Elle a en plus de son bagage personnel un ventre rond d'une grossesse.

En 1941, elle accouche d'un petit garçon qu'elle confie à sa mère et se noie dans son boulot de scénariste.

Elle bosse aussi comme agent de liaison dans la Résistance, est arrêtée et incarcérée à la prison de Fresnes de mars à juin 1944.

Fin 1945, c'est la rencontre avec Hélène Lazareff, femme de Pierre, qui rentrent des Etats-Unis où ils ont passé la guerre.

Lazareff est très amie avec Hervé Mille qui lui a glissé le nom de Françoise.

Le 21 janvier 1946, c'est la rencontre officielle avec Hélène, directrice du nouveau magazine Elle.

"Nous avions fixé le profil de celle qui allait lire Elle : c'était la lectrice d'Angoulême.Pourquoi Angoulême, j'ai oublié. Peut-être à cause de Rastignac."

Elle collabore occasionnellement à France Soir, le journal de Pierre Lazareff.

Pierre est friand de portraits et de scoops.

Et c'est elle qui lui livre le portrait exclusif de Robertino, le fils de Roberto Rossellini et d'Ingrid Bergman avec un article unique sur les amants excommuniés.

Elle couvre aussi pour lui le couronnement de la reine Elisabeth.

C'est l'époque où un certain Philippe Labro fait des débuts prometteurs.

Quand Pierre fonde France-Dimanche, elle lui fournit une série de portraits.

Comme Labro, elle rêve d'Amérique et obtient son premier grand reportage sur l'élection de Dwight Eisenhower en se faisant engager comme vendeuse dans le grand magasin new-yorkais Lord and Taylor pendant 15 jours.

Elle obtient un entretien exclusif d'Eisenhower avant son intronisation à la Maison Blanche.

De retour à Paris (en 1952), elle démissionne de Elle.

Gallimard publie alors un premier recueil des portraits qu'elle a écrits.

Entre temps il y a eu LA rencontre.

Celle avec Jean-Jacques Servan-Schreiber.

Qu'elle croise un soir de 1951 chez l'éditeur René Julliard.

C'est une histoire. Une grande histoire. Une grande histoire de passion.

Ils vont fonder ensemble L'Express.

Dont le premier numéro sort en mai 1953.

"En 1952, c'était une drôle d'idée de la part de J.J.S.S. d'aller chercher à Elle la codirectrice d'un hebdomadaire politique. Mais, en fait, c'était bien vu. J'avais l'expérience qui lui manquait encore, celle de la conception et de la fabrication d'un journal."

L'hebdomadaire est fondé pour porter les idées de Mendès France au pouvoir.

Or le fond de la pensée de Mendès France était d'ordre économique.

L'économie est alors une discipline complètement ignorée de la majorité des Français.

Françoise va s'y mettre. Et tenter de rendre limpide ce discours compliqué.

Elle s'adjoint Simon Nora - un jeune et très beau inspecteur des Finances - qui sera son professeur.

La devise de Françoise est : "Expliquez-moi. Une fois que j'aurai compris, je pourrai peut-être faire comprendre."

Outre Simon Nora une cohorte d'intellectuels se presse pour signer dans les colonnes de L'Express.

François Mauriac. André Malraux. Albert Camus.

Pendant 8 ans, la guerre d'Algérie les dévore.

Une fois la décolonisation terminée et de Gaulle au pouvoir pour longtemps, le nouveau terrain d'action du journal c'est la modernisation.

"J.J.S.S. prit la décision de transformer L'Express en magazine d'information inspiré du Spiegel allemand et de Time."

Françoise reste à la tête de l'hebdomadaire jusqu'en 1974 où elle devient secrétaire d'Etat chargée de la Condition féminine dans le gouvernement de Jacques Chirac.

Sa passion avec J.J.S.S. se termine tragiquement. Par une tentative de suicide en 1960.

Ce qui la fera entrer en analyse avec Jacques Lacan.

…………………...

Pour une vie, celle de Françoise Giroud est une vie !

Une vraie vie.

Faite de rebondissements et d'engagements, de passions et de tristesses.

Elle est, pour moi, la papesse du journalisme.

Tout ce qu'elle a touché ou créé, elle l'a touché ou créé avec passion.

Puisse-t-elle être encore un modèle pour les générations de journalistes à venir.

Liliane Langellier

Jean-Jacques Servan Schreiber, François Mauriac et Françoise Giroud.

Jean-Jacques Servan Schreiber, François Mauriac et Françoise Giroud.

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