27 Septembre 2014
Kergo !
C'est comme un cri.
Un cri de ralliement.
Un cri d'espérance dans les nuits de doute.
Un cri qui revient en écho. Après avoir frappé les hauts murs de granit..
Kergo !
Un cri de mouette affolée par tant de beauté..
Kergo !
Un cri de joie.
Un cri d'amour...
Ma Jeannette m'a quittée le mardi 25 mai 1999...
J'ai signé la promesse de vente de "La Louise" le 31 juillet suivant.
Trois mois pour déménager trois générations.
De l'arrache coeur promis pour chaque objet vendu ou donné.
Je n'étais plus moi-même. Juste en mode robot "bon petit soldat". Marche. Avance. Et ne recule surtout pas.
L'un de mes amis m'avait conseillé un séjour à "La Roche d'Or" de Besançon. Un foyer de charité. Pour une retraite en silence. Afin de récupérer.
Parce qu'en plus de la mort de Jeannette, de la vente de "La Louise, l'évêque nous avait viré notre curé. Et ce curé-là, c'est peu de dire que j'y tenais beaucoup.
Je lui parlais donc du projet "La Roche d'Or". Ce qui le fit hurler de rire. Puis décrocher son téléphone. Et me tendre un papier avec un numéro.... "Elle attend votre appel"...
Je ne disposais que de dix jours de vacances car il était urgent de me trouver un petit lieu où poser ma vie. Oui, ici, en Eure-et-Loir. Puisque j'y bossais.
Je m'empressais donc de téléphoner à la Mère Hôtelière. Qui m'accepta du 1er au 10 août.
Sept ans que, pour des vacances, je n'avais pas quitté Chaudon !
Toujours aussi désorganisée, je pris la route après la messe de ce dimanche 1er août. Donc, vers midi. Sous une épouvantable cagna. Vêtue d'une longue jupe bleu marine plissée. Et d'un adorable petit chemisier blanc gansé de bleu au col et aux manches. Le parfait uniforme de voyage !
Trouver l'entrée de l'autoroute à Chartres fut déjà compliqué... Mais ce n'était qu'un avant-goût du reste.
Je n'avais - bien entendu - pas préparé mon parcours. Je savais "Le Mans"... "Rennes"... Puis "Carnac"...
C'est sûr que les vacanciers en shorts et en tongs me remarquèrent sur les aires de repos. Mais cela ne me souciait guère. Je fonçais car on m'avait demandé d'être à l'hôtellerie pour 18 heures !
Je ne peux pas vous dire ce qui s'est passé. La fatigue, sans doute... Mais ce fut l'électrochoc quand j'ai vu le panneau "Bienvenue en Loire-Atlantique".
Une halte s'imposait. Et surtout une carte routière. Je décidais de couper par l'intérieur des terres. Arrivée à Carnac, je dus rebrousser chemin pour Plouharnel. Arrivée à Plouharnel, je me trompais de chemin pour l'abbaye... Enfin arrivée devant le portail de Saint-Michel de Kergonan, je téléphonais à mes amis pour dire que j'étais saine et sauve. 7 heures pour un parcours. Qui en nécessite juste un peu plus de 4 pour les gens normaux !
Trop tard pour le dîner.
On me montra ma chambre. Vaste. Avec une immense armoire normande. Un lit à couvertures et à duvet. Une odeur de cire qui me rappelait le pensionnat.
Après une toilette sommaire au petit lavabo, lorsque je me suis glissée entre les draps, j'ai ressenti ce bonheur que je ne connaissais plus. J'étais en paix. La paix d'être arrivée au port.
Ce premier séjour fut un peu compliqué. Mais il me permit au moins de repérer les lieux. Pour la prière. Pour la plage. Pour les balades. Et de comprendre quelle table je demanderais de partager la prochaine fois.
Ce lieu était un privilège. Pour les familles des moniales. Et, ça, dans ma précipitation et le désordre de ma vie, je ne l'avais pas compris...
Pour tout vous avouer, je ne crois pas avoir rencontré un moine avant cette date. Je demandais un confesseur. Pas trop jeune. Et on m'indiqua le père Yves, 90 ans bien sonnés. Alors que je trouvais cet âge peut-être un peu trop avancé, la Mère Hôtelière me décocha un "Vous verrez bien..."
Les deux abbayes étaient reliées par le plus joli petit chemin que je connaisse. Bordé de vieux murs délabrés. De végétation inconnue. De fleurs folles. De bourdonnements d'insectes. Un chemin de paradis, en quelque sorte...
Ce qui passionna mon interlocuteur, ce ne fut pas la liste de mes péchés, mais mon origine géographique. Et mon travail. Quand je parlais de "Seznec", il bondit de joie, en m'assénant : "Mon frère aurait dérogé au règlement pour vous écouter". Il me fallut du temps pour comprendre que chaque moine ne disposait que d'une heure avec chaque interlocutrice. Confession. Ou pas.
Kergo...
L'été suivant... Je savais. Et là, je partais pour trois semaines. J'avais écrit de Jérusalem et de Rome aux chères Soeurs.
J'avais un contenu de valise adapté au lieu. Et Carnac regorgeait de petits magasins bien tentants.
Kergo...
Notre table était unique. Nos fous rires dignes du pensionnat. Et nos balades du soir, sur les petits chemins de douaniers, de véritables escapades...
Kergo...
Je découvrais Plouharnel. Sa plage de Saint Colomban. Ses chapelles plantées au hasard des routes. Ses maisons de poupées aux volets bleus.
Kergo...
Je m'échappais régulièrement avec la comtesse. Un personnage haut en couleurs. Au langage châtié. Et à la vie tourmentée.
Nous nous étions trouvées...
Kergo...
Ses petits déjeuners au pain frais et au beurre salé... Ses délicieux repas équilibrés et sains. Avec les produits de leur ferme...
Kergo...
Les heures passées dans la librairie des moines, à Sainte-Anne. Je redécouvrais ma religion. Je rattrapais toutes ces années passées à ne pas m'occuper de moi...
Kergo...
Les offices à la carte. Sans obligation. Mon préféré était de loin les complies. Quand, peaux brûlées de soleil et de sel, nous avions le privilège de nous installer dans le choeur face aux grilles de clôture des moniales. Pour écouter leurs voix d'anges...
Kergo...
Ce 15 août irréel. Où, toujours excessive, j'avais décidé de participer à toutes les prières des moniales. Six petits offices (Matines, Laudes, Tierce, Sexte, None, Complies) en plus de la messe et des vêpres.
Et où je tombais, tôt le soir, sur mon lit, épuisée de fatigue.
Kergo...
Un endroit irréel. Entre ciel et terre. Sans doute plus près du ciel... Mais bien ancré sur terre.
Kergo...
J'y ai rechargé mes batteries de bonheur. De fraîcheur. De prières. De silences. De fous rires de gamines. De découverte de la spiritualité bénédictine. D'amour de la Bretagne.
Kergo...
J'y suis retournée quelques étés suivants...
Et puis l'église des Moniales a brûlé en 2006.
Quelque chose en moi s'est cassé. La peine pour elle. La peur de ne pas retrouver ce que j'avais tant aimé... La peur d'une nouvelle image sans repères...
Kergo...
Un jour. Ou l'autre. Si Dieu le veut... J'emprunterai de nouveau le petit chemin creux.
Liliane Langellier