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Chez Jeannette Fleurs

“Je m'intéresse à tout, je n'y peux rien.” Paul Valéry. Poussez la porte de la boutique : plus de 2.200 articles.

Le journalisme dans "Bel Ami" de Maupassant

 

De la petite presse décrite par Balzac à la grande décrite par Maupassant, il y a une évolution qui est une révolution. En effet, ayant été lui-même journaliste, Maupassant fait dans Bel Ami une satire de la presse du 19ème siècle : les rouages des grands journaux n’ont effectivement pour lui aucun secret. Maupassant introduit donc en espion Bel-Ami, "cette graine de gredin", dans ce milieu de frivolité, de suffisance et d’oisiveté, car "il lui était plus favorable que tout autre pour montrer les étapes de son personnage".

Ayant tout vu, tout découvert, tout compris, Bel-Ami sait que le journal est la force première d’un régime, quel qu’il soit. Et ce journal, dans le roman, c’est La Vie Française.

 

1. Bel-Ami et Maupassant, un seul journaliste :

D’abord simple bouche-trou, qui quémande la publication d’un poème ou d’un bout d’article, Maupassant est devenu le grand reporter qui meuble la Une des grands journaux du temps : Le Gaulois, Le Gil Blas, L’Evénement, Le Goncourt, Le Figaro. Envoyé spécial sur les théâtres d’opérations coloniales en Algérie, il pourra, sous son nom ou sous des pseudonymes, faire le journal à lui tout seul pendant plusieurs semaines en 1881 : il aura ainsi acquis renommée, puissance et une liberté quasi totale d’expression.

Si Maupassant n’a pas voulu se peindre dans les moindres détails à chaque page de son roman, force nous est de constater maintes similitudes entre l’écrivain et le personnage.

Bel-Ami pénètre dans la vie sociale comme Maupassant : il se débarrasse de son enfermement bureaucrate avec quelques fracas puis, en tant que reporter, il connaît les douleurs de la feuille blanche quand "rien ne vient". Il va progresser cependant à pas de géant et devenir par la suite "échotier", puis "rédacteur des affaires politiques" et enfin "rédacteur en chef ", ayant acquis aisance et habilité d’écriture, puissance et influence sur ses lecteurs. Sa plume, comme celle de son créateur, sera appréciée et ses articles se vendront cher, très cher. La réussite de Bel-ami ressemble à celle de Maupassant, avec des moyens semblables : journaliste, il accélère sa promotion sociale : la même ambition les anime, celle de réussir.

Duroy devient tout à fait Maupassant quand il tente d’écrire ses articles sur l’Algérie.

2. Les rouages du journal :

Un journal doit ses premiers pouvoirs à l’image extérieure qu’il présente, au paraître, au savoir-faire des journalistes qui pratiquent habilement le chantage dont ils menacent leurs adversaires. S’imposent, d’abord, une mise en scène efficace et l’aptitude à se compromettre avec le pouvoir. C’est ainsi que Duroy, lors de sa première visite à La Vie Française, pénètre dans l’escalier-réclame, est introduit dans une salle de rédaction et dans un bureau directorial étonnant. Dans cette caverne d’Ali Baba, les journalistes et leur directeur se livrent à leur passe-temps favoris : le bilboquet et la partie d’écarté ! Mais la mise en scène est si parfaite qu’elle en "impose aux visiteurs ". Au cœur de la machine, Duroy apprend que ce dernier est un " faiseur ", expert en prestidigitations journalistiques, comme ses subalternes. Le plus doué, c’est Saint Potin qui a l’art de resservir toujours les mêmes sous des titres différents et de s’abreuver aux sources proches des concierges de l’Hôtel Bristol et du Continental.

La " moelle du journal ", ce sont les Echos : " c’est par eux qu’on lance les nouvelles, qu’on fait les bruits, qu’on agit sur le public et sur la rente ". On y apprend le mensonge et la médisance. Le chef des Echos - Duroy dans le roman - s’impose comme le levier créateur et destructeur, celui qui devine " ce que supportera le public ", celui qui s’arrange pour que " l’effet en soit multiplié ". Tout ici est combinaison, manipulation supérieure et Bel-Ami, ce Scapin du journalisme, peut montrer l’étendue de son savoir-faire.

De plus, le journal dispose d’une panoplie de journalistes indispensables à son fonctionnement.

Tout d’abord, Walter : il est plus un homme d’affaires qu’un rédacteur en chef et un directeur de journal. En effet, " son journal n’a été fondé que pour soutenir ses opérations de bourse et ses entreprises de toute sorte ". Ce personnage semble déshonoré et bafoué lorsque Duroy est attaqué par un journal adverse, La Plume. On peut peut-être l’identifier à un Arthur Meyer, directeur du Gaulois ou encore à un Dumont, directeur au Gil Blas qui eux aussi cherchent des affaires juteuses : ils sont obsédés par l’argent et le profit.

Puis, vient le personnage de Forestier, chef des échos et rédacteur politique. Il doit à sa femme son caractère de journaliste. Il est l’image même d’une presse d’apparat, de clinquant, de poudre aux yeux. Forestier représente lui aussi un certain journalisme de l’époque inféodé à l’argent et à la réclame, avec ses figures de proue : Scholl, Maizeroy, Mendés et quelques autres.

Enfin, interviennent les personnages secondaires comme Rival, chroniqueur parisien d’actualité, que l’on peut apparenter au peu reluisant Aurélien Scholl, et qui saura entrer dans les bonnes grâces du patron par son élégance et sa prestance. A celui-ci, on peut opposer les journalistes tels que Norbert de Varenne et Boisrenard, tous deux secrétaires de la rédaction : " ils ne possèdent pas cette rouerie native qu’il fallait pour pressentir les pensées secrètes du patron " car trop honnêtes. Quant à Saint Potin, on le qualifie " d’impudent reporter " qui a la langue bien pendue doublée d’un franc parler. En revanche, ne sont que mentionnés rapidement les journalistes qui ont contribué à La Vie Française en l’échange d’une somme d’argent et sous anonymat. Notamment la présence des femmes, au début du roman, Domino rose et Pattes Blanches qui envoyaient des variétés mondaines, " constitue une nouveauté dans la presse moderne à l’époque.

La Vie Française n’est alors qu’un bazar hétéroclite, cérémonieux à l’entrée, négligé à l’extérieur.

3. La presse toute puissante

Force reconnue dans ses fonctions ordinaires, la presse devient toute-puissante lorsqu’elle se fait complice de la politique. Balzac avait illustré le développement de ces nouveaux pouvoirs, de cette nouvelle image d’une presse qui renvoie à la présentation d’une société dégradée. Les journalistes ne travaillent pas dans la clarté de lieux connus et fixes. Ils s’affairent en des repaires fugitifs que sont les cafés, les restaurants, les salons, les couloirs et les antichambres mystérieuses.

Par ses qualités de culot et de roublardise, par le secret dont il entoure sa fonction, Duroy déconcerte son public, le manie plus facilement et devient l’un des rouages essentiels d’une presse issue d’une société dont il est l’image.

La force d’un Walter, sa réussite, ont exigé la concentration de tous les pouvoirs entre les mêmes mains, les siennes. Par la presse et l’argent, il accapare le pouvoir politique. Laroche-Mathieu, le futur ministre, n’est qu’une créature du directeur banquier, celui qui a été choisi pour satisfaire des ambitions et des " combinaisons " politico-financières. Toute force contraire est réduite par l’armée secrète de la presse en campagne. A la tête des Echos, un chef - Duroy - qui " dirige et commande un bataillon de reporters ", un chef dont " la rouerie native " se montre capable de " pressentir chaque jour les idées secrètes du patron ".

Bientôt, La Vie Française gagnera " une importance considérable " grâce à " ses attaches connues avec le Pouvoir […]. On la citait, on la redoutait ". Avant que Bel-Ami ne rêve d’un avenir digne de son maître, M. Walter, celui-ci " continuait à diriger […] son journal qui avait une extension énorme et qui favorisait beaucoup les opérations grandissantes de sa banque ".

" Pour Balzac, déjà, dans les années 1830, le journalisme était la grande plaie du siècle ". A travers Bel-Ami, un demi-siècle plus tard, la presse apparaît comme un quatrième pouvoir qui fait et défait les ministères, manipule l’opinion tandis que l’on trame en sous main des opérations financières déguisées en entreprises de prestige où, en actions patriotiques au service d’une certaine idée de la France.

Etude réalisée par Elodie Bègue et Carole Ognard.

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